Par Annie Veilleux, Directrice
L’idée de vous écrire m’est venue un matin frisquet du mois de mai, où j’ai pris conscience que je rejoignais « Familles en affaires HEC Montréal » il y a un peu plus d’an an…
Plus qu’un bilan, cet exercice m’a permis de faire quelques constats sur les grandes leçons retenues, sur les défis et les enjeux de la famille en affaires, et sur ce qui se pointe à l’horizon en termes de « tendances ». En toute humilité, je me permets donc de vous partager mes réflexions!
Sous l’impulsion d’une vision régénérée, « Familles en affaires » effectue doucement un virage « terrain » pour se rapprocher de son marché de niche, soit les familles en affaires, et leurs membres (les repreneurs, les cédants, en n’oubliant pas les professionnels). Ainsi, « Familles en affaires » a connu une année riche en activités, dont quelques-unes figurent en annexe. En revisitant ces événements, les idées de ce partage ont émergé!
Les grandes leçons retenues
Ayant eu le privilège d’œuvrer au cœur de ces événements, je peux témoigner de l’immense générosité et de la volonté sincère de tous les panélistes à témoigner de leur parcours, de leurs expériences, de leurs bons coups…en fait, de toutes les petites et grandes choses qui ont fait la différence dans leur histoire de relayeurs[1] ou de repreneurs. Et à la lumière de ces témoignages, je peux affirmer que la sensibilisation à la préparation du transfert vers la prochaine génération, et le passage à l’action, demeurent encore et toujours d’actualité.
Comme on dit… « plus ça change, et plus c’est pareil »! Malgré que le sujet du transfert (que ce soit au sein de la famille, ou au sein du management, ou via des repreneurs externes) soit à l’ordre du jour de multiples conférences, ateliers, formations, et ce, sur diverses plateformes de communication, ET malgré que les statistiques publiées année après année induisent un sentiment d’urgence face au déficit de repreneurs, on ne remarque pas de changements significatifs sur le « terrain ». La planification d’un transfert vers une prochaine génération pour assurer la continuité des PME du Québec reste un enjeu de taille, et la fenêtre de temps se rétrécie.
En ce sens, une grande leçon retenue : en matière de préparation et de passage à l’action vers un transfert et une succession, il n’y a pas de recette! Il n’y a que les « meilleures pratiques » adaptées à qui vous êtes comme chef, comme famille, comme dirigeant. Et ces pratiques à succès, vous les connaissez déjà :
- Un rêve de pérennité, décortiqué en unités d’actions avec échéances (un plan);
- Une gestion du plan (accompagnée, c’est plus « encadrant »!);
- Et surtout, une saine communication avec tous les acteurs concernés, idéalement au sein de forums de gouvernance appropriés (Conseil de famille, Conseil des associés, Conseil d’Administration, Comité de continuité, etc.).
De plus, j’ose affirmer que, pour la plupart d’entre vous, le financement de ce passage n’est pas nécessairement un enjeu; l’argent est disponible sous diverses modalités dans le marché, et un bon plan de transfert « parle » aux banquiers!
Et à propos des qualités requises, les gagnants du Concours des Médaillés de la relève PwC 2019 ont témoigné de plusieurs lors de leur mot de remerciement : ténacité, passion, effort, audace, travail d’équipe, persévérance, inspiration, humanisme, décision, engagement, patience, vision, accompagnement, rassembleur…Quelles sont les vôtres?
Les grands défis, les enjeux
Tout au long de l’année, j’ai pu constater quelques grands défis et enjeux toujours d’actualité, alors que d’autres émergent.
D’abord, pour qu’il y ait transfert vers une prochaine génération, le cédant doit prendre la décision de relayer au suivant, et par conséquent, de déléguer et de transformer son rôle : voilà, encore et toujours, le plus grand des défis! D’autant plus qu’il y a autant d’interprétations possibles de cette transformation qu’il y a de « cédants »…c’est à chacun des binômes « relayeur-repreneur » de trouver leur façon de faire! Cependant, selon les résultats de nos déjeuners-causerie avec les principaux intéressés, prenons pour acquis leur très grande volonté à contribuer à la pérennité de l’entreprise et du patrimoine familial; ne reste que le rôle idéal à trouver pour y arriver!
Par ailleurs, les repreneurs doivent être conscients de la grande pression ressentie par les relayeurs quant aux défis tridimensionnels qu’ils gèrent, à savoir : les intérêts et les attentes générés chez les personnes occupant les 7 territoires issus du modèle des 3 cercles, l’alignement des phases sur les 3 axes de la continuité, et les pensées induites par le modèle des 3 têtes. Ces réflexions en plusieurs dimensions freinent souvent les cédants dans le passage à l’action, ou à tout le moins les ralentissent, d’où l’enjeu du « sentiment d’urgence » ressenti par les releveurs, qui doivent calmer leurs ardeurs. À cela s’ajoute le passage vers la génération des cousins/es, de plus en plus fréquent, ajoutant une complexité supplémentaire au plan de transfert.
Également, l’inconfort à aborder des sujets « tabous » constitue un défi au sein des familles en affaires, entre autres en ce qui a trait à l’éducation économique de la prochaine génération, de la place des conjoints/es, de l’accès à la propriété, de l’équité entre ceux qui travaillent dans l’entreprise et ceux qui n’y travaillent pas, etc. Créer l’ouverture pour avoir des conversations authentiques à ces propos est, pour certains cédants, un défi de taille, voire même insurmontable…
Voilà pourquoi il est important de mettre à contribution tous les professionnels (comptables, avocats, fiscalistes, banquiers, consultants, etc.) entourant le chef d’entreprise (cédant en devenir). Les professionnels doivent être sensibles aux aspects humains du transfert à la prochaine génération, de sorte de détecter les zones d’incertitude, d’inconfort, voire même de chaos chez leurs clients, et ce, afin de les encadrer et bien les diriger vers les ressources appropriées, capables de les accompagner à retrouver l’équilibre, et à passer à une autre étape du transfert. La sensibilisation des professionnels est un défi, entre autres pour créer la collaboration entre les diverses expertises, au bénéfice du projet de pérennité de leur client, les familles en affaires.
Les grandes pistes d’action, et pensées « coup de cœur », retenues dans la dernière année
Comment répondre à ces défis et enjeux? Quels sont ces « meilleures pratiques », et ces « éléments clés de succès », mis de l’avant par tous ces panélistes témoins, ces experts de la pratique, et ces experts académiques vus et entendus dans la dernière année? En rafale, voici quelques pistes d’action, et pensées « coup de cœur » retenues :
- L’importance de la connaissance de soi, pour exercer un leadership à son image[5]: quelles sont mes traits de personnalité distinctifs qui me font gagner, quelles sont mes forces, quelles sont mes compétences, comment je me saborde, qu’est-ce qui me fait peur, etc.
- Apprendre à négocier les aspects émotionnels: apprendre le « savoir être » relayeur et repreneur!
- La vitesse vs la sagesse : trouver le bon rythme pour effectuer la transition. Il faut créer l’ouverture à l’énergie renouvelée, à la fougue, à l’innovation, tout en étant conscient que le changement est confrontant. On fait également référence ici à l’équilibre « trendy vs tradition»!
- L’harmonisation de 2 projets, soit celui de la « sortie entrepreneuriale », et celui de la « reprise de l’entreprise » : trouver les points de ralliement, fabriquer divers scénarios, et garder le focus sur les grands objectifs.
- Une préparation du changement d’identité par de petits gestes, qui ont une immense signification: par exemple, changer la place de stationnement du relayeur!
- L’identification des moments charnières dans un transfert, où l’harmonie familiale peut être mise à mal :
- Les débuts de carrière (manifester son intérêt, devenir compétent, bâtir sa crédibilité, devenir légitime)
- La décision officielle (népotisme, perfectionnement, étapes de vie, responsabilisation)
- La délégation et le partage du leadership (deuil, rivalités, régénération du modèle d’affaires)
- Le défi de la croissance en phase de transfert (gouvernance)
- L’accès à la propriété (égalité vs équité, patrimoine familial, indépendance/sécurité financière)
- Le relayeur après le transfert (nouveau rêve, contribution)
- La mise en place d’une gouvernance: les forums appropriés, que l’on fait vivre et que l’on anime.
- Savoir se taire, et écouter activement! L’important n’est pas d’avoir raison, mais d’être en relation.
- Être curieux, s’informer!
Et mon coup de poing final… « ce n’est pas parce que tu as un plan, que tu es prêt »!
Ce qui évolue, ce qui se transforme, les tendances
Et finalement, que voit-on poindre à l’horizon du transfert intergénérationnel? Quels sont les sujets de préoccupation évoqués lors des conversations à droite et à gauche? Quelles sont les grandes questions adressées à Familles en affaires?
- La tendance à promouvoir et à parler de repreneuriat, et à mettre de l’avant ce concept pour le rendre « sexy » : le repreneuriat signifie « reprendre l’entreprise dans une optique entrepreneuriale : prendre en charge de nouveaux défis; mettre en place de nouveaux projets; détecter, créer et exploiter de nouvelles occasions d’affaires; donner de l’impulsion à l’entreprise qui a été reprise. »[6]
- Le phénomène de plus en plus répandu du cédant-relayeur, qui a été d’abord repreneur (Martin Deschênes-Groupe Deschênes, et nos participants aux déjeuners causerie);
- Le repreneuriat en équipe (souvent mixte famille et employés clés) – et le phénomène de la synergie d’équipe en découlant[7];
- L’intrapreneuriat, pour pérenniser la culture entrepreneuriale, pour régénérer le modèle d’affaires, et assurer la croissance de l’entreprise : en s’appuyant sur les forces de deux générations et sur les ressources de l’entreprise familiale, l’intrapreneuriat permet de propulser de nouvelles entreprises, de nouvelles divisions ou de nouveaux produits innovants;
- Le repreneuriat au féminin : «La présence des femmes au sein de l’entrepreneuriat québécois est de plus en plus robuste. »[8];
- La mise en place du bureau des affaires familiales (« family office » et « multifamily office ») : un « family office », francisé en bureau de gestion de patrimoine ou gestionnaire de grande fortune, est une organisation privée destinée à détenir et à contrôler le patrimoine d’une ou de quelques familles[9].
Conclusion
Savoir d’où l’on vient est capital pour toute famille en affaires, pour permettre de bien camper où nous en sommes, et ainsi être en mesure de se projeter vers le futur. Voilà en gros ce que m’a permis cette rétrospective de la dernière année…
En guise de conclusion, je me permettrai de vous affirmer mon respect le plus grand, et toute mon admiration aux familles en affaires du Québec qui, tous les jours, mettent leurs efforts, leur énergie, leur courage et leur foi à réaliser la continuité du patrimoine familial et entrepreneurial qu’elles ont bâti. Pour l’économie du Québec, il est capital de promouvoir, d’encourager et d’accompagner ces familles dans la durée.
J’ose espérer que Familles en affaires HEC Montréal participe à ce mouvement de pérennité des familles entreprenantes du Québec!
Annie Veilleux, Directrice
[1] Le terme « relayeur » a émergé suite à un sondage auprès des cédants réunis lors de 2 déjeuners-causerie. Certains d’entre eux étaient moins à l’aise avec la nomination « cédant » pour les décrire, s’inscrivant davantage comme des « passeurs de bâton » à la prochaine génération. Ainsi est née la terminologie « relayeur », que j’introduis ici dans le texte à quelques reprises. N’hésitez pas à nous écrire (famillesenaffaires@hec.ca) pour nous faire part de vos commentaires.
[2] https://famillesenaffaires.hec.ca/2016/08/16/les-sept-territoires-du-modeles-des-trois-cercles/
[3] Stages and transitions : managing change in the Family Business, Gersick, Lansberg, Desjardins, Dunn
[4] Michel BAUER (1993), Les patrons de PME entre le pouvoir, l’entreprise et la famille, Paris : InterEditions, 245 p.
[5] https://www.puq.ca/catalogue/livres/dirige-comme-est-2096.html
[6] https://www.editionsjfd.com/fr/products/view/le-repreneuriat-en-equipe-pour-propulser-son-entreprise/ , page 11
[7] https://www.editionsjfd.com/fr/products/view/le-repreneuriat-en-equipe-pour-propulser-son-entreprise/
[8] https://indiceentrepreneurialqc.com/rapports/indice-2018/