Nouvelles Archives - Familles en affaires

Le repreneuriat au cœur de l’Indice entrepreneurial québécois

Par Familles en affaires – HEC Montréal, en collaboration avec Jorge H. Mejía, directeur de l’Observatoire de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal 

Montréal, 18 mai 2023 – Familles en affaires – HEC Montréal et ses partenaires* ont dévoilé les résultats de l’Indice entrepreneurial québécois 2022.  L’édition 2022 met l’accent sur le repreneuriat, entre autres le repreneuriat familial.  

 

Cette attention portée sur le repreneuriat familial a permis de souligner l’importance de la transmission intergénérationnelle des entreprises et de favoriser la pérennité des entreprises familiales. Le rapport révèle notamment que la planification de la relève au sein des entreprises familiales est bien avancée, avec plus de la moitié des propriétaires ayant déjà identifié leur successeure ou successeur.  

 

« Les entreprises familiales sont mieux préparées parce que la relève fait partie de leur ADN. Elles pensent à la suite, à qui prendra la relève », explique Jorge Mejia, professeur et directeur de l’Observatoire de l’Institut de l’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal.  

 

De plus, la volonté exprimée par les trois quarts des personnes intéressées à se lancer en affaires de le faire en groupe, rassure M. Mejía. « C’est très élevé, et je pense que c’est une bonne nouvelle, parce que si on a la chance de collaborer en équipe, on a la possibilité de s’enrichir de différents types de cultures et de disciplines », explique-t-il avec sagesse. 

 

Le dévoilement de l’Indice 2022 a suscité un vif enthousiasme au sein de la communauté d’affaires québécoise, venue en grand nombre pour découvrir les résultats de cette édition spéciale. 

 

L’événement de lancement alliait la présentation de ses faits saillants, un panel d’expertes et experts et des ateliers. Cet événement annuel, présenté par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec et Réseau Mentorat, met en lumière la vitalité et l’évolution de l’entrepreneuriat au Québec.  

 

Pour tous les faits saillants et pour télécharger le rapport, cliquez ici. 

 

*L’Indice entrepreneurial québécois 2022 était en partenariat avec Familles en affaires – HEC Montréal, l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal, la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Banque Nationale et l’Ordre des CPA du Québec, et en collaboration avec le Centre de transfert d’entreprise du Québec, Evol et Léger. 

2023-06-05T12:16:10-04:00mai 18 2023|Nouvelles|

Entrevue avec le professeur Katsuyuki Kamei sur la santé des entrepreneurs

Par Antoine Gence, chargé de projets chez Familles en affaires

En prévision du Rendez-vous des Familles en affaires qui portera sur la santé des entrepreneurs, il nous a paru intéressant d’apporter une perspective internationale. Nous avons donc échangé avec M. Katsuyuki Kamei, professeur en management du risque à l’université de Kansai au Japon, dont les principaux centres d’intérêt portent sur l’entrepreneuriat familial et la santé des entrepreneurs.

Antoine Gence (AG) : En guise d’introduction, pouvez-vous nous présenter les origines de la recherche sur la santé des entrepreneurs ?

Katsuyuki Kamei  (KK) : Le pionnier de la recherche sur la santé des entrepreneurs est le professeur Olivier Torrès. Il a ouvert cette voie de recherche en 2009.  À travers ses études sur la santé des entrepreneurs en PME, il a développé le concept de la « balance de la santé entrepreneuriale » où la santé résulterait d’un équilibre entre des facteurs « saluthogènes » (ce qui est bon pour la santé) et des facteurs pathogènes (ce qui est mauvais pour la santé). En effet, par sa position de dirigeant, l’entrepreneur, trouve un certain plaisir à être créateur. Il est libre de son destin et récolte les revenus de son travail et de ses choix (facteurs saluthogènes). Toutefois, de l’autre côté, son travail et ses fonctions l’amènent à supporter d’importantes charges de travail, à gérer un stress issu de toutes les incertitudes liées à son activité et à vivre un certain isolement (facteurs pathogènes).

AG : Quand parlons de santé des entrepreneurs, le sujet semble très vaste, pouvez-vous nous préciser ce qu’il englobe ?

KK : Il s’agit de comprendre la relation entre les comportements de l’entrepreneur et son état de santé. La santé peut être analysée sous un spectre très large qui comprend l’état de santé général, la santé mentale, le stress, la tendance au burnout, les troubles du sommeil et alimentaires, pour ne citer que les plus importants. En somme, ce champ d’étude s’interroge sur comment la santé des dirigeants influence les affaires qu’ils mènent.

AG : Afin de bien comprendre l’importance du sujet, pouvez-vous nous expliquer l’impact de la santé des entrepreneurs, tant du point de vue de l’individu que du point de vue de l’entreprise ?

KK : Pour répondre à cette question, il est pertinent de se centrer sur les étapes charnières de la vie d’un entrepreneur. Avant de se lancer en affaires, au moment de la création d’une entreprise ou d’une reprise, le souhait du succès et la peur de l’échec pèsent sur la santé générale de l’entrepreneur (conséquences du stress sur la qualité du sommeil et sur la santé mentale). Cette condition vient dégrader l’efficacité de l’entrepreneur dans ses tâches et elle impacte sa capacité à prendre de bonnes décisions pour son entreprise.

Une fois l’entreprise établie, l’entrepreneur doit gérer les enjeux courants liés à la gestion de l’entreprise et assurer son développement. Ces éléments constituent des sources de stress qui ont les mêmes conséquences qu’au démarrage.

Enfin, après plusieurs années à la tête de l’entreprise, les entrepreneurs rencontrent des difficultés à assurer la transmission de celle-ci, ce qui peut créer une importante source d’anxiété pour le potentiel cédant.

En contexte de PME, le ou la PDG joue un rôle central pour l’organisation.  Les enjeux de santé vécus par l’entrepreneur vont donc impacter la réalisation de ses tâches opérationnelles et stratégiques, ce qui entraîne des conséquences directes sur la performance de l’organisation.

AG : Quand il est question de santé physique ou mentale, quels sont les signes auxquels un entrepreneur devrait être attentif et à partir de quand ces signes deviennent préoccupants ?

KK : Comme expliqué précédemment, le stress a des conséquences indirectes sur la santé. Prof. Florence Guiliani  explique que le premier signe auquel il faut être attentif sont les troubles du sommeil. Ce serait le premier impact lié aux facteurs pathogènes. Dans un deuxième temps, les troubles du sommeil peuvent engendrer une dégradation de la santé mentale. Enfin, les troubles de la santé mentale (combinés aux troubles du sommeil) ont un impact sur la santé physique de l’entrepreneur. Ainsi, les conséquences sur la santé s’avèrent être un cercle vicieux dramatique pour l’entrepreneur. Ces signes deviennent donc préoccupants dès que des troubles du sommeil sont perçus et dès que l’entrepreneur ne parvient pas à « déconnecter » de son entreprise.

AG : Quels sont les facteurs ou les conditions qui viennent impacter la santé des entrepreneurs et, au contraire, quels sont les facteurs ou les conditions qui viennent limiter cet impact ?

KK : Pour répondre à cette question, il est pertinent de revenir sur la balance de la santé entrepreneuriale du Prof. Torrès. À cet effet, un entrepreneur a intérêt à limiter les facteurs « pathogènes » et à optimiser les facteurs « saluthogènes ». Voici une liste d’exemples de quelques facteurs :

Facteurs pathogènes :

  • Le travail sur de trop longues heures
  • Le manque de séparation entre le travail et le temps personnel
  • Le manque du sommeil
  • Les mauvaises habitudes alimentaires
  • La consommation d’alcool ou de drogues

Ce sont tous ces aspects négatifs qui génèrent : stress, solitude, angoisse pour l’avenir, surcharge (Olivier Torrès  , 2012)

Facteurs « saluthogènes » :

  • Un sentiment d’accomplissement
  • De la reconnaissance
  • Une bonne rémunération
  • La maîtrise de son destin

Ce sont tous ces aspects qui génèrent de l’optimiste.

AG : Est-ce qu’il existe des différences dans le domaine de la santé pour les entrepreneurs familiaux et non familiaux ?

KK : Dans le cas des entrepreneurs familiaux, les enjeux présentés demeurent, mais ils subissent aussi des enjeux propres à leur caractère familial. En effet, dans un contexte familial, l’enjeu de la pérennité intergénérationnelle est une priorité, mais qui n’est pas sans impact sur la santé. Par exemple, le relayeur a de plus en plus de mal à assurer un repreneuriat familial, ce qui peut lui causer une importante source d’anxiété.

La génération montante vit aussi des enjeux qui impactent sa santé puisque reprendre l’entreprise familiale n’est pas toujours un processus simple. L’entreprise n’a pas été bâtie à leur image, il peut donc être difficile pour cette nouvelle génération de prendre en charge leur nouveau rôle et de faire évoluer l’entreprise selon leur vision. Il peut aussi arriver que la relève subisse une pression supplémentaire issue de la famille au niveau de sa capacité à prendre en charge son nouveau rôle.

Tout comme la santé de l’entrepreneur influence la santé de l’entreprise, en entreprise familiale, c’est la santé de la famille qui influence la santé de l’entreprise.

AG : En quoi la période de transition en entreprise familiale est un moment charnière pour la santé des repreneurs et des entrepreneurs ?

KK : Pour les fondateurs de l’entreprise, quitter ce qu’ils ont créé génère une réelle angoisse. Ils craignent que l’on dénature ce qu’ils ont bâti et laisser leur rôle de dirigeant est vécu pour plusieurs comme un deuil. Ils doivent développer leur tolérance vis-à-vis la vision des successeurs. Pour les repreneurs, la pression peut être importante, car ils doivent gérer les attentes du relayeur et celles d’un large groupe de parties prenantes (dont la famille au premier rang). C’est un moment charnière, car ils doivent trouver un équilibre entre le respect du passé et faire évoluer l’entreprise de manière à s’adapter au marché, tout en la développant   à leur image.

AG : Il y a quelques années, le sujet de la santé était encore très tabou pour les entrepreneurs. Sentez-vous qu’il y a une ouverture face à ce sujet ? Voyez-vous déjà les bénéfices liés à cette ouverture ?

KK : Jusqu’à tout récemment, nous considérions le sujet de la santé comme un sujet personnel et non comme un problème central pour l’entreprise. Grâce aux travaux de Torrès et de Guiliani le sujet commence à être traité. Malheureusement, au Japon, les entrepreneurs ne parlent pas encore assez de santé. Malgré les efforts mis sur le sujet de la santé mentale, celui-ci n’est pas encore assez connecté à la gestion des entrepreneurs et peu de cours et de formations existent sur le sujet.

AG : Dans vos études, vous avez beaucoup travaillé sur les entreprises japonaises. Selon vous, comment la culture dans laquelle se forge un entrepreneur a un impact sur sa santé ?

KK : Le travail est une des dimensions les plus importantes de la vie des Japonais. Ils considèrent le fait de ne pas compter leurs heures comme étant une grande qualité pour un travailleur. En valorisant le travail de cette manière, les Japonais ont été éduqués avec une frontière très floue entre le repos/plaisir et le travail. Ce manque de frontière les amène à beaucoup travailler et à avoir du mal à se déconnecter de leur entreprise.

Ces facteurs pathogènes issus de la culture japonaise ont de nombreuses conséquences sur la santé des entrepreneurs japonais qui subissent, malheureusement, beaucoup de stress, des troubles du sommeil et de nombreux burnout.

AG : Pour conclure, quels conseils ou bonnes pratiques suggéreriez-vous à un entrepreneur pour veiller sur sa santé globale ?

KK : Voici quelques conseils que je pourrais donner à un entrepreneur :

  • Gérer votre temps pour que celui-ci n’impact pas votre santé.
  • Valoriser l’importance de la qualité et du temps de sommeil.
  • Prendre le temps de faire le point, de manière objective, sur sa santé physique et mentale sur une base régulière.
  • Suivre les 8 règles pour ne pas faire de « burnout » :
  • Travailler activement pour améliorer la situation.
  • Être positif.
  • Reconnaître son utilité.
  • Prendre ses propres décisions.
  • Savoir s’affirmer.
  • Obtenir de l’aide des autres quand on en a besoin.
  • S’aimer et aimer les autres.
  • Avoir de l’ambition.

Bibliographie  :

Torrès, O. (sous la direction de)(2017) La Santé du dirigeant : de la souffrance patronale à l’entrepreneuriat salutaire, 2e édition, De Boeck

Kaneko, S., Ogyu, H., Torrès, O. et Kamei, K.,“Mental Health of Managers of Small and Medium Enterprises as Seen from the Viewpoint of Risk Management” Journal of Disaster Research, Vol.6 No.2, 2011, pp.204-211.R

La citation est en bas de page (je verrai comment l’intégrer en ligne ) [ag4]

2023-05-16T10:48:23-04:00juillet 16 2022|Articles, Nouvelles|

Identifier notre culture d’entreprise

Par Catherine S Beaucage, Directrice transfert et rayonnement chez Familles en affaires 

La culture organisationnelle est quelque chose d’intangible mais de perceptible. Chez certaines entreprises, la culture se capte dès que nous sommes en contact avec elle et son équipe, alors que pour d’autres, celle-ci est plus subtile. Il est souvent mentionné que les entreprises familiales réussissent à créer des cultures organisationnelles fortes et donc, facilement reconnaissables. Ceci peut certainement s’expliquer par le fait que ces entreprises reposent souvent sur un héritage culturel de plus d’une génération.  

Que nous existions en tant que famille en affaires depuis une génération ou plus de trois générations, il est toujours intéressant de se pencher sur sa culture pour la valider et potentiellement l’actualiser afin qu’elle soit en cohérence avec son temps. Pour ce faire, il est important de bien comprendre de quoi celle-ci se compose et comment nous arrivons à la faire vivre au quotidien.  

D’où vient notre culture ? 

Cette culture organisationnelle prend racine dans les fondements de l’entreprise : la mission, les valeurs et l’histoire de l’entreprise.  

La mission :  

La mission de l’entreprise doit répondre à la question « Pourquoi l’entreprise existe-elle? »  Cette mission n’est pas un énoncé que nous définissons sur le coin d’une table, elle doit être réfléchie puisqu’elle suit l’entreprise sur le long terme et influence l’ensemble des décisions stratégiques de l’entreprise. C’est pour cette raison que la réponse à cette question doit aller au-delà des produits et services que l’entreprise produit puisque ceux-ci seront amenés à évoluer au fil du temps.  

Quand cette mission est définie, partagée et connue de tous les membres de l’entreprise, elle devient réellement une racine de la culture puisqu’elle oriente toutes les décisions de l’entreprise et donne du sens au travail de l’équipe, et ce, de la présidence aux équipes opérationnelles.  

Les valeurs :  

Les valeurs dictent les savoir-être non négociables et attendus au sein de l’entreprise. Elles influenceront ainsi les profils recherchés lors de l’embauche et les comportements attendus au sein de l’entreprise. Dans une entreprise familiale, ces valeurs sont généralement très proches des valeurs de la famille et, bien qu’actualisées au fil du temps, elles découlent souvent de l’histoire de l’entreprise.  

L’histoire de l’entreprise :  

L’histoire de la fondation de l’entreprise et des grands moments dans l’évolution de celle-ci est un élément important de la culture de l’entreprise. Comme nous l’avons vu plus haut, elle impacte les valeurs clés de l’entreprise, mais est aussi à la base de certains éléments de fonctionnement et de traditions présents dans l’entreprise.  

La documentation et le partage de cette histoire sont un exercice fort intéressant afin qu’elle vive au-delà des générations. C’est de cette façon qu’elle participera au maintien de la culture de l’entreprise. Vous serez étonné de remarquer à quel point cette histoire, que d’autres appel le mythe fondateur de l’entreprise, peut devenir une boussole vers laquelle les différentes générations peuvent se référer de temps en temps.  

Cette documentation peut se faire soi-même ou se faire en accompagnement. Nous avons justement rencontré une entreprise qui se spécialise dans la documentation des histoires de famille (voir plus bas pour la référence). Quelquefois, un petit coup de main peut vous aider à concrétiser le projet. 

Comment identifier la culture :  

Une fois que nous avons compris ce qui est à la base de la culture d’entreprise, il est intéressant de l’identifier. Cette identification vous permet de la rendre plus tangible et de réellement la faire vivre au quotidien dans votre entreprise et cela vous permet aussi de la remettre en question et de la faire évoluer si vous sentez que celle-ci n’est plus alignée avec l’époque et vos aspirations.  

Comment mentionné précédemment, nous pouvons identifier la culture en regardant des éléments stratégiques comme la mission et les valeurs de l’entreprise, mais nous pouvons aussi la percevoir au niveau de la vision que l’entreprise se donne. En effet, les priorités stratégiques de l’entreprise que nous retrouvons dans la vision sont souvent très liées à la culture actuelle ou visée de l’entreprise. C’est justement en regardant vos priorités stratégiques visées que vous pourrez évaluer si votre culture est toujours bien alignée à vos aspirations. Si ce n’est pas le cas, il est toujours possible de la revisiter en actualisant, entre autres, votre mission, vos valeurs et vos pratiques organisationnelles puisque la culture se véhicule souvent à travers les différentes pratiques organisationnelles en place.  

En effet, sans que nous nous en rendions toujours compte, la culture d’entreprise est derrière plusieurs de nos modes de fonctionnement.  

Dans un premier temps, nous pouvons la reconnaitre dans les traditions mises en place dans l’entreprise. Parmi les traditions, nous retrouvons, par exemple, les célébrations, les activités sociales, les rituels, etc.   

Dans un second temps, nous pouvons aussi reconnaitre notre culture à travers nos différents modes de fonctionnement. Par exemple, notre type de structure organisationnelle, nos types de réunions d’équipe, la circulation de l’information et son niveau de transparence, nos politiques internes, nos principaux indicateurs de performance, etc.   

Nous aborderons un peu plus tard dans l’année, l’impact de votre culture sur le développement stratégique de votre entreprise familiale et de votre famille en affaires. Toutefois, d’ici là, n’hésitez pas à commencer à identifier votre culture ou à la formaliser avec l’identification de votre mission et de vos valeurs et la documentation de l’histoire de votre entreprise.  

 

Référence pour la documentation de l’histoire :  

https://www.lessouvenirspartages.fr/  

2023-08-30T14:11:32-04:00avril 25 2022|Articles, Nouvelles|

Discussion sur l’accompagnement des familles en affaires avec Samia Zoheir

Par Antoine Gence, chargé de projet, et Catherine S Beaucage, directrice transfert et rayonnement chez Familles en affaires 

Lors de notre atelier Bâtir les fondations de votre conseil de famille, en octobre dernier, les participants ont assisté à une discussion entre Samia Zoheir, consultante en continuité d’entreprise et accompagnatrice de familles en affaires, et Catherine S Beaucage, directrice transfert et rayonnement chez Familles en affaires. Le sujet portait sur l’accompagnement des familles en affaires. Afin de donner suite à cette discussion, nous l’avons recontactée pour approfondir le sujet.  

Familles en affaires (FeA) : Selon toi, quels sont les éléments les plus importants dans une relation accompagnateur et familles en affaires ? 

Samia Zoheir (SZ) : Pour assurer la bonne qualité de la relation entre l’accompagnateur et la famille, il y a d’abord la nécessité de valider l’alignement entre les domaines d’expertises de l’accompagnateur, les besoins et les attentes de la famille. Ce premier seuil de validation permet de confirmer que la collaboration est pertinente et adéquate.  

Il est crucial, en tant qu’accompagnateur, de délimiter notre mandat et de connaître nos limites d’expertise. Ces frontières doivent être établies en début de mandat pour assurer l’efficacité et la légitimité de l’accompagnateur dans ce processus.  

Il peut arriver que les besoins ne soient pas bien identifiés par la famille elle-même et c’est correct. Généralement, quand le besoin est clairement énoncé par la famille, c’est parce qu’il y a un élément déclencheur (ex : un enjeu de santé, un conflit, un manque de communication, identifier la relève, etc.) Toutefois, que le besoin soit clairement défini ou non, celui-ci s’affine toujours à travers les premières discussions avec le consultant.  

L’alignement doit aussi être validé au niveau des valeurs et du type d’approche utilisée par l’accompagnateur. Cette validation est importante considérant que l’accompagnement des familles est souvent émotionnel et peut être difficile, par moment. Partager les mêmes valeurs et s’être entendu sur un type d’intervention permet au tandem accompagnateur et famille d’évoluer sur des bases communes 

Dans le même ordre d’idée, la validation du niveau de confiance de l’ensemble des membres de la famille envers l’accompagnateur est fondamentale, puisque cette confiance est nécessaire pour bâtir un environnement propice au partage d’histoires, de sentiments, d’aspirations, de visions, etc. Ainsi, même si, initialement, la relation de l’accompagnateur est plus développée avec un des membres de la famille, il est essentiel que l’accompagnateur prenne le temps de développer une relation avec tous les membres de la famille.  

Enfin, pour assurer la continuité du processus, l’accompagnateur doit également choisir la famille. Il doit y avoir de l’amour ! Cela permet de renforcer son engagement et l’ancrer dans la relation, tout au long de la démarche. Cet ingrédient trouve tout son sens dans les moments difficiles. Il ne faut pas avoir envie de « quitter le navire ».  

FeA : Comment réalises-tu ces validations ? 

SZ : Ces validations se font à travers des entrevues d’exploration / de chimie avec les membres de la famille. En plus de ma compréhension du mandat (enjeux et défis ; besoins et attentes de la famille) et de ma capacité à y répondre (expertise ; ressources), il est important de valider l’affinité et la chimie. Cette indication intuitive me renseigne sur la qualité potentielle de la relation. Il peut arriver que je remarque certains éléments qui peuvent freiner l’accompagnement… il est important pour moi de les communiquer rapidement aux familles.  

À la suite de ces entrevues, je propose une offre de service dans laquelle je définis le mandat et ses grandes orientations (les objectifs à atteindre à priori dans la première année de l’accompagnement) ainsi que le format et les étapes de leur réalisation. Une fois que nous nous sommes entendus sur la forme et le contenu de l’accompagnement, il nous reste, en tant qu’accompagnateur, à livrer ce qui a été défini. Toutefois, la flexibilité reste de mise, car il peut arriver que des priorités forcent l’actualisation des objectifs.    

FeA : Comment maintiens-tu le climat de confiance avec les familles ? 

SZ : Si jamais en cours de route, nous croisons des difficultés, il est important de les nommer et de les exprimer. La communication de ses ressentis et la transparence sont importantes pour maintenir le climat de confiance et d’ouverture avec la famille.  

Il est aussi important de valider le confort et l’engagement des individus de façon régulière en cours de mandat. C’est à l’accompagnateur que revient cette responsabilité qui lui permet de garder le contrôle sur la démarche et livrer ce pour quoi il s’est engagé. 

Il est aussi important de leur faire vivre des petites victoires liées à la démarche. Cela permet de sentir le progrès et de maintenir l’engagement dans la démarche. 

FeA : Quand nous parlons de conseil de famille, quels sont les avantages d’avoir un accompagnateur ? 

SZ : Je distingue des avantages à deux niveaux. Premièrement, d’un point de vue individuel, ça permet à chacun de vivre pleinement la démarche en se centrant sur son développement personnel. L’individu peut se faire challenger sur ses croyances et ses comportements, réaliser des prises de conscience et amener ses réflexions personnelles à un autre niveau. Deuxièmement, d’un point de vue collectif, ça permet la facilitation du dialogue, la consolidation de l’équipe familiale (identité, cohésion, harmonie, complémentarité) et l’acquisition de notions clés possiblement méconnues. Enfin, le processus est aussi pensé sur mesure pour répondre aux enjeux spécifiques à la réalité de la famille.  

FeA : À l’opposé, est-ce que tu vois des désavantages ou des risques à avoir un accompagnateur? 

SZ : Le risque principal pour le client est de perdre son autonomie en se laissant porter par l’accompagnateur qui guide la démarche et en lui laissant la charge de faire les efforts pour atteindre les objectifs. Le client devient donc dépendant de sa présence pour encadrer la résolution des problèmes / conflits. Cette dynamique peut, quelquefois, générer deux autres enjeux :  

  1. Une diminution de l’implication du client dans sa démarche.  
  2. Un transfert de responsabilité de l’effort et du résultat du client vers l’accompagnateur. En d’autres mots, l’accompagnateur en vient à porter la responsabilité de la non-réalisation des objectifs. 

FeA : Nous parlons beaucoup d’accompagnement, toutefois, il existe plusieurs familles qui décident de ne pas aller chercher de l’aide-externe. De ton point de vue, quels sont les avantages et les risques de ce mode solo ?   

SZ : Le mode solo est tout à fait viable, si les facteurs de succès sont au rendez-vous. Parmi ces facteurs de succès, nous retrouvons une bonne dynamique et une saine harmonie entre les membres de la famille, le désir et l’engagement des membres de la famille à mettre l’effort pour atteindre leurs objectifs et se donner le temps pour y arriver.  

La démarche solo s’avère cependant très risquée en présence de système complexe (plusieurs générations qui cohabitent, continuité hybride…), de problématiques ingérables seuls et/ou de manque de tempsL’incapacité de certaines familles à percevoir et à gérer l’ensemble des facettes des sujets à traiter et le manque de cohérence dans les actions posées sont aussi des éléments qui peuvent affecter la démarche.  

Cependant, cette démarche a pour principale qualité de faire émerger des leaders dans la famille. Elle responsabilise les membres de la famille face à leur implication et les mobilise dans la démarche.  

FeA : Peux-tu nous décrire ce que tu entends par développement familial? 

SZ : Dans les entreprises dites classiques, nous parlons de développement professionnel des individus et de développement organisationnel. Dans les entreprises familiales, avant les professionnels et l’entreprise, il y a la famille. Ainsi, nous avons un niveau de développement préalable qui est le développement familial. Celui-ci nous assure de demeurer harmonieux et en cohérence pour le projet commun.  

Le développement familial est un exercice de conscience pour :  

  1. Se connaître en tant que famille (histoire, valeurs, aspirations profondes, archétypes, etc.) et conjuguer les besoins familiaux (individus / équipe) avec ceux de l’entreprise.  
  2. Identifier et abandonner les schèmes limitants (ex : des comportements, des attitudes, des dynamiques, etc.) qui peuvent nuire à la naissance de la famille en affaires (professionnalisée) et à la continuité de ses affaires. 
  3. S’actualiser en faisant des choix consensuels (ex : une nouvelle vision, de nouvelles valeurs, de nouvelles compétences, etc.) et en développant les compétences adéquates pour gérer en toute cohérence le projet familial.  

FeA : Quels sont, selon toi, les facteurs clés de succès de ce développement? 

SZ : Avant de commencer cette démarche, il est impératif que le désir de se lancer dans un tel processus de développement soit présent chez tous les membres de la famille. Deuxièmement, il faut être prêt à s’investir et à se donner le temps nécessaire au déroulement des étapes du processus. Enfin, les membres de la famille gagnent à adopter une approche exploratoire et une ouverture aux champs des possibles. Des attentes et des objectifs très élevés et précis risquent de mener à des frustrations et à des conflits encore plus importants.  

FeA : Nous parlons, de plus en plus, d’accompagnement multidisciplinaire pour les familles en affaires, quel est ton opinion par apport à ce type d’accompagnement ?   

SZ : Les familles en affaires ont des besoins divers et variés découlant des besoins humains, organisationnels et patrimoniaux. Ils sont en général entourés de plusieurs professionnels qui, souvent, ne se parlent pas ou ne se parlent pas suffisamment. Ils ne forment pas une équipe. Ainsi, le plus grand besoin que je souhaite soulever est le besoin de cohérence entre ces professionnels. Il doit avoir une planification pertinente des interventions, afin d’aligner le travail de chacun. C’est généralement à la famille de s’assurer que ses professionnels communiquent entre eux ou qu’il y ait un chef d’orchestre au sein de ceux-ci. Cet alignement est d’autant plus nécessaire en période de transition. 

2022-02-15T10:26:07-05:00décembre 14 2021|Articles, Nouvelles|

Portrait de Bill Bernholc de Lester’s Deli

Par Antoine Gence, chargé de projets chez Familles en affaires 

Bill Berenholc, plus connu sous le nom de « Monsieur Lester », est aujourd’hui à la tête de Lester’s Deli et d’autres entreprises en lien avec le smoked meat, ce sandwich mythique qui donne à Montréal sa saveur si particulière.

Lester’s Deli, avec ses 70 ans d’existence, représente bien plus qu’un simple restaurant. Ce restaurant est réellement devenu une institution culinaire dont le nom a traversé les générations et les guides touristiques. Toutefois, derrière ce nom se cache la famille Berenholc qui est à la tête du restaurant depuis 1956.

L’histoire de la famille commence avec Ruth, née au Québec de parents immigrants russes et d’Eddy arrivé de Pologne après la Seconde Guerre mondiale. En arrivant à Montréal, Eddy, marqué par la guerre et les pénuries alimentaires, avait l’objectif de travailler dans un restaurant afin d’assurer la sécurité alimentaire de sa famille et ne plus connaître la faim. Il commença alors à occuper plusieurs fonctions au sein de restaurants montréalais. Attiré par le smoked meat, il commença à apprendre par lui-même ce type de coupe de viande. L’engouement pour ce mets commença à se répandre à Montréal et cette compétence de découpe de la viande devenait de plus en plus demandée. C’est ainsi qu’en 1951, il fut approché par la famille Lester pour travailler dans leur nouveau restaurant Lester’s Deli. Après cinq ans au service du restaurant, la famille Berenholc eut l’occasion de reprendre le restaurant. Ils en firent l’acquisition en 1956.

Pour le Eddy, cette acquisition était l’opportunité de valoriser son talent et de développer un restaurant qui était déjà bien connu dans le quartier. Ce sont leur attachement à cette enseigne et le fait que tout le monde les associait à Lester’s Deli qui les ont poussés à garder ce nom même si celui-ci n’était pas le leur. Bien que le restaurant avait déjà une réputation, les efforts de la famille et la rigueur apportée dans les activités leur ont permis, avec les années, de bâtir une réelle institution dont le nom s’est progressivement exporté hors de Montréal.

Bill, très complice de son père Eddy, commença à s’impliquer naturellement dans le restaurant au début des années 1970. Riche d’études en marketing, il se rendait progressivement compte du potentiel du restaurant. Cette réalisation confirma son orientation professionnelle au sein de Lester’s Deli. Cependant, pour Bill il fallait valoriser son smoked meat en dehors du restaurant.

Bill était confronté à la difficulté de distribuer son smoked meat hors de son restaurant, car celui-ci nécessite une expertise de cuisson, de coupe et des conditions particulières de production. Face à cet enjeu, il commença à réfléchir à de nouvelles alternatives pour faire connaître son produit. C’est donc animé par cet enjeu qu’il se mit à chercher des alternatives. Il trouva alors une technique de conservation sous vide, très peu répandue dans les années 80, qui lui permettait de conserver les principales qualités de son sandwich tout en permettant son transport. Après plusieurs essais qui lui permirent d’optimiser le processus, il présenta le résultat à son père qui le laissa poursuivre son projet.

Animé par le nouveau potentiel de son smoked meat sous vide, il se mit en tête de le proposer à d’autres restaurants et bars sous le nom de Mr. Smoked Meat. Bill souhaitait ainsi protéger l’image de marque de Lester’s Deli. Cette nouvelle activité lui permettait de servir de nouvelles villes du Québec. Fier de ce succès, il commença à réaliser qu’il pouvait, lui aussi, distribuer son produit et décida d’ouvrir deux franchises entre 1982 et 1983. Face à la réussite de ces projets, son père commença à lui laisser la gestion de l’entreprise familiale.

Bill ne manquait pas de créativité pour valoriser ses produits et renforcer sa proximité auprès de la clientèle. Il a ainsi généralisé la prise de commande par téléphone au milieu des années 80 et permis un service de prise de commandes par fax à partir des années 90. C’est riche de ce paradoxe entre la tradition et l’innovation, si caractéristique aux entreprises familiales, que le restaurant a continué à attirer des clients. Une tradition liée aux recettes, aux méthodes de travail et au décor des lieux, et une innovation liée à la mise en valeur de l’expertise et des produits et la capacité à connecter avec une clientèle de plus en plus grande, c’est ce qui caractérise Lester’s Deli.

Dans cette perspective d’innovation, l’implication de la fille de Bill a permis la mise en place d’un service de commande en ligne. Ce service, initié par Bill, a maintenant un nouvel outil pour se développer. Ainsi, avec le soutien de la 3e génération, ils ont développé tout un service de commande en ligne pour les particuliers et pour les restaurants dans l’ensemble du Québec.

La plus grande préoccupation pour Bill se porte maintenant sur la meilleure façon de pérenniser son activité. À cet égard, il ne cache pas son inquiétude sur sa capacité à assurer la continuité de son activité qui est selon lui vouée à se transformer. Cette transformation rendra impossible le maintien de l’expertise et des méthodes de production traditionnelle. À 65 ans, il se voit bien prendre sa retraite, mais il ne se sent pas être la bonne personne pour accompagner toutes les transformations requises. Toutefois, aucun plan de relève n’est encore défini et, malheureusement, Bill n’est pas sûr de pouvoir conserver l’entreprise sous le giron de la famille.

Riche d’un patrimoine culinaire, Bill a réussi avec son père, sa fille et ses employés à créer une institution qui traverse les générations et les frontières. Ce lieu, au style des années 50, est volontairement conservé et transmet, dès notre entrée, une émotion singulière qui nous fait sentir l’âme de Lester’s Deli qui a réussi à traverser les époques en fêtant ses 70 ans cette année. À l’image de son succès, les murs du restaurant sont étoffés de photos et de manches de journaux qui retracent l’histoire et le passage de personnalités venues déguster un smoked meat chez M. Lester.

2022-01-07T08:48:31-05:00décembre 9 2021|Portraits, Nouvelles|

Portrait de Jacques Deschênes

Par Antoine Gence, chargé de projets chez Familles en affaires 

1️⃣ L’histoire et les racines familiales de Jacques Deschênes  

Jacques Deschênes est né le 19 avril 1935 à Montréal, d’un père spécialisé dans le domaine de la plomberie, plus particulièrement dans le chauffage à vapeur, et d’une mère au foyer. En 1940, son père François Miville-Deschênes alors âgé de 50 ans acquit Langelier & Fils. Jacques avait alors cinq ans. La piètre situation financière de l’entreprise déteignait tout de même sur la situation familiale. Les Deschênes naviguaient entre la classe moyenne et populaire. La famille aimait recevoir ses proches, mais la préoccupation de « faire attention aux dépenses » se faisait toujours présente. Il fallait s’assurer d’avoir assez pour les jours qui viennent ; seules les familles qui ont connu des temps plus durs pouvaient en partager le sentiment.

L’histoire de la famille Deschênes est marquée par la figure de Francois Miville-Deschênes qui a eu une forte incidence de la familles Deschênes et de leur société. Orphelin depuis son plus jeune âge, François retranscrit l’absence paternelle avec ses enfants. Son affection et l’amour qu’il leur portait transparaissaient par des attentions et des activités plus subjectives et distantes. Au-delà du travail, il était profondément attaché à son identité francophone. Pour lui, il était essentiel de mettre de l’avant et défendre les intérêts nationalistes et surtout de conserver la langue française.

Dès l’âge de cinquante-sept ans, des problèmes de santé se sont installés de manière omniprésente. La peur de la mort, l’incertitude de l’avenir, et la question «Y aura-t-il, un lendemain » habitaient de manière omniprésente leur vie. Au travers de cette incertitude, il en résultait l’impossibilité de concevoir l’avenir, et le contraignait lui et sa famille à s’en tenir au présent, animés par une simple volonté de survie.

L’histoire et les valeurs de François furent ainsi la fondation du parcours et de l’avenir de la famille Deschênes.

Dès l’acquisition de Langelier & Fils François renomma l’entreprise Deschênes & Fils Ltée. Ce nom, si prémonitoire, était un appel à vocation naturel pour Jacques. Le pluriel rappelle qu’il s’agit néanmoins de l’histoire d’une famille, avec trois frères pour la relève. Paradoxalement, derrière cet espoir pour François de voir ses fils rejoindre l’entreprise familiale, les discussions autour de l’entreprise brillaient par leur absence. Toutefois, dès qu’il le pouvait, en particulier lors des pandémies de rougeole, scarlatine, etc., qui étaient courantes et que les écoles fermaient pour une courte durée, il les emmenait à l’entreprise ce qui les initiait à son type de travail, en espérant qu’ils s’intéresseraient à celle-ci.

Ce n’est qu’en 1947, lorsque le François commençait à devenir malade que le choix de rejoindre l’entreprise n’était plus un choix, mais une obligation morale de soutenir leur père face à cette adversité, lié à sa santé.

Jacques qui était plus jeune voit ses frères aînés se joindre naturellement à l’entreprise de leur père, en renonçant pour l’un à des études supérieures.

La maladie de François, qui mettait toute la famille dans un mode survie, a contraint Jacques, à vivre sans réelle aspiration professionnelle ou personnelle. Son avenir et celui de sa famille étaient bornés par la peur et les conséquences qu’entraineraient la mort de leur père. De cette situation ont émergé un besoin et un intérêt à se débrouiller pour gagner un peu d’argent. Jacques a donc accumulé plusieurs petits emplois, comme distribuer le journal, faire de la livraison… qui lui a permis d’assumer ses dépenses personnelles. Pour se vider l’esprit, il partageait avec ses frères et ses amis une passion profonde pour le sport et la nature. Celle-ci lui offrait un répit dans sa vie d’adolescent. C’est naturellement à la fin de son école supérieure (secondaire), en 1954, qu’il rejoint l’entreprise familiale par devoir pour celle-ci.

 

2️⃣ L’évolution du Groupe Deschênes  

Lorsque François Miville-Deschênes a acquis l’entreprise en 1940, son objectif était de capitaliser sur son expertise dans le chauffage à vapeur au sein du marché québecois. De plus, son activité et son développement étaient compromis pendant cette Seconde Guerre mondiale, car l’approvisionnement de marchandises passait après les efforts de guerre. Bien que François fût expert dans son domaine, ce n’était pas le cas dans les processus de gestion adaptés.

L’arrivée progressive des fils à partir de 1951 et leur cheminement a permis à Deschênes & Fils Ltée de mieux évoluer. Dès son intégration en 1954, Jacques comprend qu’il doit lui aussi apporter une réelle plus-value à l’entreprise. C’est donc cette même année qu’il entreprend une formation en cours du soir en plomberie, chauffage, et chauffage à vapeur.

La mort de leur mère en 1956 marqua un tournant dans l’entreprise familiale, où François, marqué par le deuil de sa femme s’impliqua de moins en moins. Peu de temps après, le principal dirigeant sous François quitta l’entreprise. Pierre l’aîné de Jacques prit alors la relève pour occuper le poste que l’on désignait alors comme gérant, Pierre n’avait aucune formation ou préparation pour assumer de telles fonctions. L’implication des trois frères devint par la même occasion plus importante. Face à cette situation, Jacques, conscient qu’il devrait davantage participer à la gestion de l’entreprise, prit l’initiative à partir de 1958 d’aller se former à HEC Montréal qui offrait des cours du soir sur différentes thématiques (administration des ventes, marketing, publicité…). En 1959, les trois frères proposèrent à leur père un plan de rachat de ses actions. Les frères ne disposant que de très peu d’apport personnel, il fut convenu que ce qui lui était dû lui serait remboursé graduellement, ce que François accepta, il quittait alors officiellement ses fonctions.

Durant les années qui ont suivi la vente, les frères continuèrent à développer l’entreprise jusqu’en 1973, où un concurrent leur proposât de racheter leur activité. À ce moment-là, ils étaient partagés : d’une part les deux frères de Jacques qui considéraient qu’ils avaient atteint un certain plafond de verre et que cette offre représentait une belle opportunité de sortie ; de l’autre, Jacques était convaincu qu’il pouvait faire aussi bien que ses gros concurrents anglophones et qu’il était capable de développer davantage l’entreprise familiale. Il a pu emprunter le montant nécessaire et procéder au rachat comptant de leurs parts, à la même valeur que l’offre externe.

À l’issue d’un transfert expéditif de responsabilité avec son frère aîné, Jacques nouvellement président-directeur général, apporta une stratégie centrée sur le besoin de se développer et de s’étendre pour survivre à la concurrence. Pour accompagner cette nouvelle orientation, Jacques a transformé les méthodes de travail au sein de ses équipes afin de promouvoir une culture participative et orientée sur la résolution de problème.

Grâce à ses nouvelles pratiques internes, Jacques a instauré une stratégie d’expansion qui lui permit dès 1977 d’ouvrir deux nouvelles succursales à St-Hyacinthe et Laval. À la suite, d’une stabilisation de ses activités, ils commencèrent à effectuer une première acquisition à Montréal 1980, à Québec en 1984, suivi d’une autre à Ottawa en 1987. Cette dernière représenta une fierté singulière pour qui venait d’intégrer un marché anglophone et ainsi lui donner raison sur la capacité des Québécois à faire aussi bien que les anglophones et de venir les concurrencer sur leurs marchés. En 1988, pour accompagner ce développement, il développe une société mère, le Groupe Deschênes Inc. que nous connaissons mieux aujourd’hui, et qui regroupe l’ensemble des filiales de la famille dans cette industrie. Ces acquisitions n’étaient que le début de sa stratégie de croissance par acquisition.

Pour accompagner cette stratégie d’acquisition, Jacques commença à s’impliquer progressivement dans des activités de rayonnement externe, en lien avec son industrie et son impact local, qui lui permettaient de se positionner dans son marché, de se rapprocher de ses clients et de leur besoin, et tout en étant aligné avec ses valeurs.

Ainsi, Jacques occupa des postes-clés au sein du Canadian Standards Association, de l’institut Canadien de la Plomberie et du Chauffage, la vice-présidence de Chambre de Commerce du District de Montréal, et tant d’autres. Ainsi, sous la direction de Jacques Deschênes entre 1973 et 2000, leur nombre de succursales est passé de 1 à 50, permettant à l’entreprise familiale sur la même période de passer de 10 M$ de chiffre d’affaires à 225 M$.

 

3️⃣ Le développement de sa relève  

Pour assurer la gestion de ses activités et planifier la transmission de l’entreprise familiale, Jacques créa en 1976 Les Entreprises Mirca Inc. et qui rassembla l’ensemble des actions participantes liées à leur activité dès 1977. L’idée de Jacques était d’intégrer progressivement ses enfants en leur donnant une part minoritaire des actions de l’entreprise. Au travers de l’intégration de ses enfants dans l’actionnariat, qui permettait d’informer ses enfants des nouvelles de l’entreprise, et de son orientation stratégique. L’histoire de son père François en mémoire Jacques avait le sentiment qu’il devait préparer sa relève, pour éviter de devoir vivre une relève expéditive et sans préparation comme ce fut le cas entre son père et les trois frères. C’est donc avec cette conception d’un père malade à 57 ans que Jacques concevait l’échéance à laquelle il devait avoir une solution de relève pour l’entreprise. C’est donc à partir des années 1990, à ses cinquante-cinq ans qu’il commença à bâtir un conseil consultatif qui allait entre autres aider à choisir son successeur. Les enfants avaient été invités à désigner un des leurs pour les représenter sur ce conseil, Martin (fils aîné) avait été l’élu.

Il était clair pour Jacques que la priorité est d’assurer la pérennité de l’entreprise. Par conséquent, son successeur devait être la personne la plus apte pour le faire, indépendamment qu’il s’agisse d’un membre de sa famille ou non. À la suite de l’établissement d’une liste de personnes qui pourraient potentiellement reprendre l’entreprise, le conseil consultatif par sa propre initiative a demandé de rajouter le nom de Martin Deschênes alors impliqué dans le groupe depuis quelques années. Après évaluation des habiletés de Martin, en délibération, le conseil a déterminé que Martin était la personne la plus à même de reprendre l’entreprise familiale. Cette nomination, non planifiée par Jacques, le remplit d’une profonde fierté, car il s’agissait de la quatrième relève familiale et de l’implication de la troisième génération dans la présidence. La relève étant nommée Martin et Jacques ont convenu du cheminement pour assurer une transition naturelle et efficace. Ainsi, Martin prit officiellement les fonctions de président-directeur général en 2000 avec une période de transition progressive des mandats de Jacques prévue pour une période maximum de trois ans. La qualité du transfert fut reconnue par le concours des Médaillés de la relève en 2008.

Passé la période de transfert, Jacques s’était entièrement retiré des opérations courantes pour laisser la place à son fils, cependant il conservait le rôle de président du conseil d’administration au sein du groupe. Ce transfert de responsabilité fut bien vécu par Jacques, car l’histoire de son père malade l’avait naturellement poussé à considérer cette période de retrait comme étant un passage naturel dans son chemin de vie auquel il s’était préparé. Il se focalisa donc dans de nombreuses philanthropies qui tenaient à cœur à lui et sa famille, tel que l’accompagnement aux familles en affaires du Québec. D’autre part, ce temps lui permettait de se centrer sur sa famille et ses passions telles que la nature, la pêche, et la chasse.

Soucieux de laisser sa place aux repreneurs, Jacques a tenu à s’impliquer le moins possible dans les décisions et orientations de ses successeurs. Cependant, il est resté disponible pour eux, et a démontré son soutien après le transfert dans plusieurs dossiers clés pour le groupe, dont son expérience et son réseau apportèrent une aide cruciale.

Martin Deschênes, avait planifié de quitter ses fonctions à 55 ans pour s’impliquer dans de nouveaux projets à l’extérieur de l’entreprise familiale. Le conseil d’administration avait alors pour but d’assurer cette transition dans une dynamique similaire à ce qu’avait vécu Martin. Fançois Deschênes (fils de Jacques et frère de Matin) était candidat au poste pour lequel il a dû démontrer au conseil d’administration qu’il était apte pour remplacer Martin, dont le rôle allait évoluer. Après de nombreux tests et réflexion pour valider ses capacités le conseil d’administration a considéré qu’il était la meilleure personne pour occuper cette fonction.

C’est habité d’une profonde fierté que Jacques porte un regard sur l’entreprise familiale qui a connu en 2017 un nouveau transfert interfamilial. C’est donc confiant dans sa capacité à bâtir l’avenir du Groupe Deschênes que Jacques laisse son fils François guider l’entreprise vers de nouveaux sommets, et assurer sa pérennité.

2022-01-05T15:25:58-05:00novembre 17 2021|Portraits, Nouvelles|
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